Madagascar: le sauvetage de ressortissants piégés au Cameroun relance le débat sur les risques de traite à l’étranger

RFI | Neuf Malgaches et six Congolais de RDC retrouvés à Yaoundé au Cameroun, dans un réseau de traite d’êtres humains, attendent d’être rapatriés vers leurs pays d’origine. Le 19 mars, une opération de la gendarmerie nationale camerounaise a permis de libérer les victimes, attirées par de fausses offres d’emplois en ligne. À Madagascar, cette dernière affaire rappelle d’autres cas d’exploitation de travailleurs malgaches à l’étranger qui avaient secoué l’opinion publique par le passé. Elle révèle aussi que le phénomène du recrutement clandestin se poursuit, alors que l’île s’enlise dans une crise économique.

Le voisinage ignorait tout du calvaire organisé à huis clos dans cette maison du quartier Nkomo à Yaoundé. À l’intérieur du domicile protégé par un mur en parpaings, sept Malgaches et six Congolais étaient retenus captifs, sous-alimentés et forcés de soutirer de l’argent à leur famille à distance. À quelques pas, le même sort était réservé à deux autres Malgaches retrouvés dans un motel du quartier.

En octobre 2024, une première victime foule le sol camerounais. Une fois son passeport confisqué, elle est chargée d’entraîner d’autres proies dans le réseau tenu par ses ravisseurs. Les autres suivront au fil des semaines, tous motivés par la promesse d’un salaire attractif au sein de « grandes structures hospitalières et industrielles » de Yaoundé, détaille le lieutenant-colonel George Parfait Nana, chef du commandement opérationnel à la gendarmerie nationale camerounaise.

« Personne ne s’y attendait »

Au bout de plusieurs semaines de séquestration, l’une des ressortissantes malgaches parvient finalement à joindre une proche à Madagascar. Cette dernière s’empresse d’alerter le ministère camerounais chargé des Relations extérieures. Le 19 mars, les victimes sont libérées. L’opération menée par la gendarmerie nationale permet d’éviter un autre drame. Au même moment, six autres Malgaches s’apprêtent en effet à embarquer vers le Cameroun par un vol de la compagnie Ethiopian Airlines, piégés, eux aussi, par ces offres d’emploi fictives publiées en ligne.

Depuis l’ouverture d’une enquête par la gendarmerie nationale à Yaoundé, trois suspects camerounais ont été interpellés puis déférés en justice. En attendant de regagner leurs pays respectifs, les 15 victimes « se trouvent en lieu sûr et se portent bien », assure l’institution.

Un engouement croissant sur l’île pour les départs à l’étranger

À Madagascar, l’affaire étonne autant qu’elle rappelle de douloureux épisodes. Le Cameroun était jusqu’alors absent de la carte des pays connus pour la traite de ressortissants malgaches. « On a été très étonné, personne ne s’y attendait », confie une source au ministère malgache du Travail. Par le passé, plusieurs cas similaires ont déjà été identifiés, principalement concentrés vers les États du Moyen-Orient.

Dans les années 2010, une série d’affaires de domestiques malgaches prises au piège de réseaux de traite dans cette région arabo-persique avait poussé le régime de l’époque à sévir. En 2013, Antananarivo avait ainsi suspendu l’envoi de travailleurs vers les États dits « à haut risque ».

La mesure, encore en vigueur à ce jour, vise en particulier le Liban et l’Arabie Saoudite, deux pays prisés par les domestiques malgaches, où nombre d’entre elles ont été réduites en esclavage. Plusieurs ont fini par mourir d’épuisement. Deux ans plus tard, en 2015, face à des abus répétés envers leurs ressortissants, les autorités vont plus loin en interdisant toute activité des agences de recrutement et de placement de travailleurs malgaches à l’extérieur.

Rouvrir les agences de recrutement à Madagascar

Mais sur l’île, où la situation socio-économique empire à mesure que le coût de la vie augmente et que l’emploi se raréfie, l’engouement pour les départs à l’étranger n’a cessé de croître ces dernières années. La tendance se mesure d’abord à la lumière des départs légaux. En 2024, le ministère du Travail a vérifié 4 630 contrats de ressortissants malgaches en partance pour l’étranger contre seulement 260 en 2019.

En pratique, aujourd’hui, une large partie de départs échappe encore aux radars des autorités, permis par des réseaux clandestins organisés. Alors que les mesures de restriction adoptées par le régime dix ans plus tôt ont eu pour effet de renforcer ces migrations irrégulières et la vulnérabilité des travailleurs, plusieurs voix estiment que celles-ci n’ont plus lieu d’être.

« Dans le contexte actuel, on ne pourra pas empêcher les Malgaches, qui s’imaginent qu’une vie ailleurs sera toujours mieux que la leur, de vouloir s’expatrier », assure l’avocate Maria Raharinarivonirina, qui défend un accompagnement nécessaire de l’émigration par la voie légale.

« Le ministère du Travail devrait s’atteler rapidement à la mise en place d’un mécanisme de protection et accorder de nouveau les agréments qui permettront aux agences de recrutement d’exercer sur le sol malgache »poursuit la présidente de l’association ACAT, engagée contre les traitements inhumains et dégradants des personnes sur l’île.

Un retour prévu dans les « meilleurs délais »

Les acteurs impliqués dans la lutte contre la traite à Madagascar mettent également l’accent sur l’importance de la sensibilisation contre le recrutement clandestin. Sur le réseau social Facebook, des offres d’emploi opaques à l’étranger inondent le fil d’actualité. Aux yeux de tous, derrière ces publications, des recruteurs peu scrupuleux laissent miroiter une vie plus décente à des travailleurs mal informés.

Après cette dernière affaire, le ministère malgache des Affaires étrangères s’est livré à une réaction succincte. Dans un communiqué publié le 24 mars, il a appelé la population malagasy « à la plus grande vigilance » face aux offres d’emploi à l’étranger. Sollicité par RFI, le ministère ajoute être pleinement mobilisé pour le retour de ses ressortissants « dans les meilleurs délais ».

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