BBC | Une vidéo montrant le chanteur camerounais Simon Lonkana Agno, très connu sous le nom de Longue Longue, en train d’être torturé a suscité une indignation généralisée dans le pays.
L’artiste, connu pour ses tubes dénonçant la mauvaise gouvernance, le colonialisme et d’autres maux sociaux, a déclaré que la vidéo avait été prise après son arrestation en 2019, mais c’est la première fois qu’elle a été vue par le public.
Dans la vidéo, Longue Longue apparaît les mains menottées dans le dos et assis par terre en sous-vêtements.
Au dessus de ses pieds, une chaise, et des hommes posent leurs pieds chaussés sur les tibias de l’artiste, tandis qu’un des hommes frappe la plante de ses pieds nus est à l’aide d’une machette plate.
Malgré ses supplications désespérés pour que les coups cessent, les hommes, dont Longue Longue prétend qu’il s’agit des Agents de Sécurité militaire, continuent de frapper.
Longue Longue explique à ces hommes qu’il s’agit de sa “liberté de pensée”.
La BBC n’a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante l’origine de la vidéo.
Joint au téléphone, l’artiste explique « C’est quelqu’un qui m’a appelé des Etats-Unis pour me dire qu’il a ma vidéo, je l’ai supplié de me l’envoyer, ce qu’il a fait ».
Il confie ne plus être sur le sol camerounais «Ça fait 3 mois que j’ai quitté le Cameroun, je ne m’y sentais plus en sécurité », confie l’artiste de 51 ans à la BBC.
Avant de poursuivre « Je priais Dieu pour qu’il me fasse quitter le pays, parce que je ne voulais pas être présent au Cameroun lors de la prochaine présidentielle ».
Indignation et condamnation
Depuis mercredi, cette vidéo suscite indignation et condamnation tant de la classe politique que de la société civile.
L’opposant Maurice Kamto, le président du MRC a condamné sur X « cette barbarie d’État et exigé l’ouverture urgente d’une enquête » pour arrêter et traduire immédiatement devant les tribunaux les auteurs de ces actes qui démontrent leur inhumanité.
Un autre oppossant, le député Cabral Libii a qualifié ces images d’insoutenables. Selon lui, elles « sont la traduction de la cruauté d’une poignée de “commandants” de la République ». Il a appelé à la justice pour l’artiste Longuè Longuè.
De son côté, Akere Muna, célèbre avocat spécialisé dans les droits de l’homme et candidat déclaré à la prochaine présidentielle s’est dit « profondément troublé par la vidéo bouleversante dépeignant la torture de l’artiste ». Pour l’avocat, « cet acte abominable est non seulement inacceptable, mais exige également la condamnation sans équivoque de tous. »
Dans un communiqué ce jeudi, le ministère de la Défense a annoncé l’ouverture d’une enquête par ses services spécialisés afin de faire la lumière sur cette « regrettable affaire ». Le Chef de la division de la Communication du Mindef précise que « les responsabilités seront établies et les conséquences tirées en fonction des résultats de l’enquête ».
Présidentielle 2018
Les déboires de l’artiste remontent à la présidentielle 2018. Il est choisi comme égérie par Maitre Akere Muna, l’un des candidats à cette élection pour sa campagne électorale.
L’artiste l’aide à haranguer des foules dans ses meetings, sous des airs de ses chansons les plus critiques à l’endroit des dirigeants africains, et le système « France Afrique ».
Quelques jours avant la présidentielle, son candidat se désiste, et noue une alliance avec Maurice Kamto, arrivé deuxième selon les résultats officiels du scrutin.
Seulement, ce dernier refuse de reconnaître les résultats de l’élection, et passera d’ailleurs, avec nombreux de ses militants par la case prison pendant la contestation.
C’est pendant la détention du principal opposant à Paul Biya, que les déboires de l’artiste commencent véritablement.
« Le Libérateur » comme on l’appelle, publie une vidéo sur ses réseaux sociaux, dans laquelle il soutient publiquement que Maurice Kamto a gagné la présidentielle.
« Si vous voulez, sortez Maurice Kamto, on reprend les élections ville par ville, on va voir qui va gagner. Maurice Kamto va battre Paul Biya. Kamto a gagné les élections, vous avez volé », déclarait-il dans sa vidéo.
« Je veux voir mes enfants grandir »
Les représailles ne se feront pas attendre. Longue Longue raconte à la BBC qu’il était dans un hôtel de Bonanjo, le quartier des affaires de Douala, lorsque des éléments des forces de l’ordre en civil, dans une voiture banalisée ont débarqué.
« Ils m’ont embarqué, et m’ont amené à la SEMIL (sécurité militaire, ndlr) et m’ont infligé ce que vous avez vu dans la vidéo ».
Connu pour ses prises de paroles critiques envers le régime de Yaoundé, l’artiste fera une nouvelle apparition quelques jours plus tard, non sans avoir changé de discours.
Dans une nouvelle vidéo devenue virale au mois d’avril 2019, l’artiste pose avec Djene Djento, un patriarche du Nkam, département d’origine du « Libérateur », et ténor du Makossa, le registre musical dans lequel Longue Longue a sorti le plus de tubes.
Posant dans un complet orange, l’artiste est sommé par le patriarche de se mettre à genoux et de demander pardon à « papa Paul Biya et maman Chantal Biya ».
Il fera cette déclaration pleurant à chaudes larmes, avec une expression devenue célèbre dans le pays « Je veux voir mes enfants grandir ».
Aujourd’hui basé en France, il dit se sentir plus en sécurité, mais se dit tout de même inquiet pour sa famille restée au pays. D’autant plus que « lorsque j’ai annoncé que j’allais publier la vidéo, j’ai reçu des appel disant que si jamais elle est rendue public, ils s’en prendraient à ma famille », explique-t-il.
L’artiste Longue Longue se fait connaitre en 2001 à travers son titre « Ayo Africa », dans lequel il décrit à la fois le colonialisme, mais aussi le népotisme des dirigeants africains. Il a enchainé avec d’autres titres comme « 50 ans au pouvoir », pour décrier la gérontocratie sur le continent, et bien d’autres titres, souvent perçus par certains comme une attaque contre le régime en place dans son pays, et bien d’autres nations du continent.
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